Un article des Echos du 4 avril 2016 sur le patron de Danone. Les dimensions de proximité, de dialogue, de présence authentique, d’équilibre, de conscience du leader qui sont évoquées, sont parmi celles cultivées par le Leader positif. L’équipe de l’IFLP.
« Depuis un an et demi, le directeur général de Danone porte « l’héritage » de l’entreprise créée par Antoine Riboud il y a quarante ans, avec l’ambition d’être un « chief encouragement officer ».
Successeur de Franck Riboud, quel leader êtes-vous, Emmanuel Faber ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions, il y a un an et demi, j’ai partagé devant les dirigeants et dirigeantes de filiales mon envie d’être un CEO à la façon d’un « chief encouragement officer » . C’est une exigence de l’être au quotidien. Aussi, il y a un sujet qui me tient à cœur : c’est celui du collectif. Je ne peux porter « l’héritage » de l’entreprise qu’avec une équipe. Le comité exécutif passe, par exemple, quatre fois plus de temps ensemble que dans l’organisation précédente. Le plan de transformation en cours nécessite une coordination, un partage et une discipline.
Comment pilotez-vous cette transformation ?
Un plan de transformation suppose de poser une vision et de faire de constants allers et retours entre cette appréciation du futur et la réalité du moment. Je veux m’assurer que le processus de changement est ajusté aux enjeux et à la capacité des équipes à parcourir le chemin. On ne peut dessiner une vision rupturiste sans être dans une proximité avec les personnes appelées à la mettre en œuvre. J’établis un dialogue concret avec les équipes, j’essaie d’être présent physiquement dans l’entreprise, aux sièges et dans les usines. Un projet ne peut pas seulement figurer sur des présentations ; c’est au dirigeant de l’incarner et de le partager.
Le comité exécutif de Danone – blanc et masculin – ne traduit pas vraiment la « rupture »…
Danone a un projet mondial et le premier des sujets est de savoir si les cultures et l’énergie qui se dégagent de tous les pays dans lesquels le groupe se développe sont représentées autour de la table. Je pense que c’est le cas, avec, notamment, un Ecossais qui a grandi au Kenya, une Sud-Africaine qui a été élevée en Nouvelle-Zélande ou un Espagnol qui a commencé sa carrière auprès de jeunes en difficulté. J’ai nommé deux femmes au comité exécutif ; cela correspond à peu près à la proportion de 20 % de femmes parmi nos directeurs généraux. Sur ce point, nous devons aller nettement plus loin qu’aujourd’hui. C’est en cours.
Chez Accor, Sébastien Bazin a créé un « shadow comex » des moins de 35 ans. La démarche vous inspire-t-elle ?
Je comprends que l’on choisisse d’effectuer symboliquement un acte managérial fort qui pose une écoute de cette génération, mais il n’y a pas de solution toute faite. Chaque entreprise a son propre projet et les besoins en talents ne sont pas forcément les mêmes. Selon moi, le sujet est plus celui de l’équilibre entre les générations. Le thème de l’intégration des seniors dans les entreprises est aujourd’hui au moins aussi important que celui des jeunes. Et il est évident que l’une des questions majeures de management dans les entreprises occidentales, et en particulier en France, est de savoir comment faire place à trois générations en même temps. Il va falloir réfléchir à une réinvention du rôle des seniors dans l’entreprise.
Vos convictions humanistes sont-elles compatibles avec les impératifs des affaires ?
Opposer les deux serait baisser les bras. Ou laisser sa conscience de côté. Je ne dispose d’aucune preuve qu’il soit possible de concilier ces exigences, mais j’y travaille concrètement depuis vingt ans, dans la droite ligne du double projet, économique et social, posé il y a quarante ans par Antoine Riboud et réactualisé par Franck Riboud pour aborder le XXIe siècle. Le projet d’une entreprise ne peut être seulement économique ; j’ai la conviction que celle qui ne créerait pas de valeur pour toutes ses parties prenantes s’arrêterait assez vite. Les patrons ont un droit d’utopie et un devoir de réalisme… Le métier de dirigeant est justement de se tenir sur cette ligne de crête. Tout est question d’équilibre et de « bande passante », et il y a toujours la possibilité d’un choix.
Quels conseils de carrière donneriez-vous à un jeune cadre ambitieux ?
Je ne crois pas à la notion de carrière. Je lui dirais de ne pas confondre ambition et quête du bonheur, et d’être capable de mettre ses aspirations professionnelles au service d’un projet de vie, quel qu’il soit. Je lui recommanderais d’éviter les pièges, illusions et bonne conscience, et de veiller à ne pas perdre son libre arbitre.
L’entreprise le permet-elle ?
Il n’y a pas de « système », et si l’entreprise ne le permet pas, alors il en va de la responsabilité de chacun. Je suis persuadé que l’on dispose toujours de marges pour agir et que l’on a en face de soi des interlocuteurs ou des interlocutrices qui sont de « bonnes » personnes. C’est à chacun de voir autrement.
Danone voit sa croissance de demain en Afrique… Comment mener la croissance sur des marchés dont beaucoup sont marqués par des « dilemmes éthiques » – droits de l’homme, corruption, pauvreté ?
Je ne désignerais pas particulièrement l’Afrique en matière de corruption. La question de la licéité des pratiques, et encore plus de l’éthique, se pose partout dans le monde, et en tout moment. Il y a quelques années, j’ai écrit à la demande du gouvernement, un rapport sur la réforme de l’aide au développement qui pose une idée simple en soi : la croissance en Afrique ne sera durable que si elle est inclusive – et beaucoup plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Forcément, le développement de Danone en Afrique est coloré de mes propres idées et convictions. Notre vision de l’alimentation est avant tout locale. Nous pensons qu’il faut favoriser la biodiversité. Nous cherchons à localiser les recettes en fonction des diètes et des déficiences, et les sources d’approvisionnement, en fonction des traditions agro-culturales locales. En Afrique, l’économie est majoritairement informelle, en particulier en Afrique sud saharienne, et la question, pour une entreprise comme Danone pour laquelle les cycles de production sont liés à l’agriculture, est de savoir comment interagir. Si vous réfléchissez à l’inclusivité de la croissance, il est nécessaire de toucher le secteur informel. Avec le secteur formel, vous toucherez 3% [à confirmer ] de la population et vous n’aurez pas d’impact sur l’alimentation.
Comment procédez-vous ?
Pour avoir un impact sur l’alimentation, il faut aller dans les réseaux capillaires, être capable de toucher la réalité du travail informel et la réalité de l’agriculture familiale. Danone a fait de la « durabilité » une dimension stratégique de son projet et, pour cela, a développé des plateformes d’innovation sociale. C’est un moyen de nous connecter aux réalités socio – économiques du continent africain, dans un cadre et une gouvernance qui nous permettent de résoudre la question éthique. » @ValLandrieu