Notre ami Emmanuel Jaffelin ressort en poche son « Petit Eloge de la gentillesse », A lire !
«Gentil n’a qu’un oeil.» L’expression populaire est sans équivoque. Selon elle, le gentil ne verrait pas les événements tels qu’ils sont. A la différence de celui qui louche, il ne verrait pas double mais… à-moitié. Sa vision monoculaire le handicaperait dans la vie de tous les jours. D’un démarcheur se présentant sur le seuil de sa porte pour lui proposer un contrat d’assurance vie, le gentil ne percevrait que l’apparence bonhomme. La complexité du monde, les six faces des choses et le double visage des personnes lui échapperaient donc.
Pourtant, la gentillesse a connu son heure de gloire ! Comment ce qui signifiait noblesse et désignait l’attitude du gentilhomme a-t-il pu devenir faiblesse et synonyme de borgne ? Comment cette vertu, qui aurait pu être cardinale, a-t-elle fini par devenir minimale} Soyons justes cependant : la disgrâce de la gentillesse n’est pas totale ! En effet, si d’un côté, j’éprouve de la compassion à l’égard d’une personne naïve et crédule, de l’autre, j’apprécie volontiers en elle sa bienveillance. D’où vient alors l’ambiguïté de cette notion qui évoque une attitude que je pratique à la sauvette pour ne pas paraître faible, mais dont j’aime être le destinataire car elle m’est salutaire ?
L’heure est venue pour la gentillesse de sortir du bois. Le cynisme est à son affaire dans son mépris de la gentillesse ; il est même à la manoeuvre. Mais ce mépris a montré ses limites : il est surtout une méprise sur soi et sur autrui. Avis aux cyniques : l’aspiration des hommes à la douceur n’est ni une reddition ni une résignation, elle est force et stratégie. En prenant conscience que la gentillesse n’est pas faiblesse, mais noblesse, je reconnais en elle une vertu prometteuse et annonciatrice d’un nouveau gentilhomme.